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Transport d’air
Autrefois, c’était dans des citernes étanches que les camions transportaient l’air. Au terme du voyage, il arrivait souvent qu’on le retrouve en mauvais état : l’air était vicié, il avait pris une odeur de renfermé.
Clients mécontents, retours à l’envoyeur, complications, frais supplémentaires… Tout ceci, heureusement, appartient au passé. On utilise désormais des conteneurs à claire voie, sorte de cages grillagées. Ainsi, tout au long du voyage, l'air se trouve constamment renouvelé. Il est parfaitement frais, vif et revigorant lorsqu'on le livre au client.
daté d'avril 2009
Lettre d’un voyageur à sa famille.
Ma chère femme, mes chers enfants,
Si vous ne me voyez pas rentrer à la maison c’est que, comme vous le craignez peut être, j’ai eu un accident. J’y ai laissé trop de plumes pour que mes ailes puissent me porter. J’ai tenté plusieurs fois de reprendre mon envol. Rien à faire. Je vais devoir rester ici jusqu’à ce qu’on vienne me réparer-opérer.
Se procurer les plumes nécessaires ne sera pas difficile : S. mon fournisseur habituel a un agent dans la ville voisine. Mais nous n’avons toujours pas réussi à joindre un chirurgien-plumassier qui pourrait se déplacer jusqu’ici.
Je dis « nous » car j’ai eu la chance d’être recueilli par des gens très gentils qui non seulement m’hébergent mais s’efforce de m’aider dans la mesure de leurs modeste moyens. L’affaire se complique du fait que les trains ne circulent pas en ce moment. Mais enfin le trafic devrait bien reprendre et alors, soit mes bons Samaritains me mettront dans un train, soit un chirurgien fera le voyage pour venir m’opérer ici. Mon retour sera à l’ordre du jour.
Maintenant, soyez rassurés, mes blessures guérissent vite et je ne souffre de rien d’autre que de rester séparé de vous.
J’ai pensé à un moyen de faire face aux frais que toute cette affaire va entraîner. Au grenier vous trouverez un coffret contenant des minéraux et des fossiles. Un archéologue à qui j’en fis la description m’a affirmé qu’ils ont une grande valeur et m’a conseillé de contacter un certain W. à R. Allez les lui présenter, ils vous en donnera un bon prix qui permettra de régler l’opération et de d’indemniser mes bienfaiteurs.
Ma chère femme, mes chers enfants, j’ai hâte de voler de nouveau vers notre nid.
Avec toute mon affection.
Signé " I. " (…llisible ou …care ?).
daté de juin 2011
La crotte et le pneu
La roue emporte l’immondice et en tamponne le sol un tour plus loin, deux tours plus loin, trois tours plus loin ….
Ainsi de la souillure originelle, l’écho va s’affaiblissant.
daté de aout 2011
Vous avez pu observer, en vous limant les ongles, que la pulpe du doigt reste indemne tandis que l’abrasif entame la kératine.
La lime n’attaque pas le mou, seulement le dur.
C’est-il pas une belle métaphore ?
daté de juillet 2011
Il les fait venir chez lui et il les tue.
En voilà déjà plusieurs qui ne sont pas revenues de leurs visites au troisième étage.
Cependant il a laissé repartir indemne sa dernière visiteuse, dans l’idée que si l’une d’elles ressortait normalement, les soupçons se détourneraient de lui.
La logeuse, venue réclamer le loyer, a remarqué sous une chaise la flaque que cette grosse avait fait sous elle en comprenant qu’elle se trouvait chez l’assassin dont parlent les journaux. Elle en a parlé à la police.
Voilà où on en est. Son ami G. (son seul ami) venu comme tous les mardis boire un verre, lui fait remarquer que ces disparitions de grosses vieilles vont forcément lui être reprochées et qu’il ferait bien de préparer sa défense.
G offre des cigarettes et notre héros (un imbécile) se met à fumer bien qu’il se doute que le tabac contient une drogue qui le fera parler.
Tant pis. Il fume. Il inhale la fumée qui l’étourdit. Bientôt il avouera ses crimes.
Le mystère de la disparition des grosses vieilles sera éclairci et, dans le fond, le voilà bien soulagé.
daté de mars 2009
(Droit canin)
C’est dans une sorte de transe (créatrice) qu’il formula un soir les règles du Combat contre le Chien.
Malheureusement, il avait perdu de vue le fait, pourtant patent, qu’un seul des combattants pourrait comprendre et respecter des règles. D’ailleurs les gens qui pratiquent cette sorte de combat idiot s’en moquent bien, égaux en cela à leurs adversaires canins.
On le lui fit ironiquement comprendre. Il bouda, adopta la pose du génie incompris.
De ce qu’il croyait un nouveau Décalogue il fit imprimer une plaquette à compte d’auteur sous le titre « Poèmes pour mon chien ».
daté de janvier 2012
Ethnologue
Brûlé de soleil et chancelant sous le poids de connaissances durement acquises, le Savant Baroudeur nous est revenu.
C’est chevauchant un tronc flottant sur le fleuve en crue qu’il a franchi les derniers kilomètres de son odyssée.
Il cause maintenant car : « j’ai commencé à comprendre, alors je parle, je parle… ». Et les gens l’écoutent. Ce qu’il a à dire est bien simple :
rien de ce que vous croyiez perdu n’est perdu
c’est vous qui avez changé…
et d’enchaîner conférences et interviews là-dessus.
Mais, au fait, le Savant Baroudeur s’est présenté comme ethnologue, non ? Et alors, les peuples étrangers, voire primitifs, parmi lesquels il a vécu ?
On lui pose la question. Il n’en a RIEN A FOUTRE.
daté de mars 2012
Nettoyage
Dans notre petite entreprise « SARL Les Feuilles mortes », l’entretien des locaux n’incombe à personne en particulier. Tous, sans distinction participons au nettoyage.
Chacun porte des semelles absorbantes frangées de balayettes ; le long des jambes et des bras nous sommes équipés de brosses ; un sac à poussière est accroché à chaque cuisse.
Ainsi, sans avoir à y penser et simplement en vaquant à nos tâches professionnelles, nous astiquons toutes surfaces parcourues, tout objet manipulé ou simplement cotoyé, et récoltons la poussière autour de nous.
« Abeilles à poussière », voilà comment on nous surnomme.
Notre couleur grise ne nous permet pas de pavoiser, mais nous en sommes fiers tout de même.
daté de Février 2012
Quatrequatre, c'est un genre de véhicule, une grosse automobile aux quatre roues motrices. Sur les pistes africaines, dans les passages délicats où d'autres resteraient enlisées, leurs passagers à la merci des grands carnassiers ou des cannibales, le quatrequatre s'arrache et poursuit vers de nouvelles aventures. Par contre, il n'est d'aucun secours dans la circulation urbaine. Pourtant on en rencontre beaucoup, coincés dans les embouteillages comme les autres. Simplement, le quatrequatre consomme beaucoup plus de carburant.
Il n'est pas du tout question de cela dans le texte qui suit, mais de quatre fois quatre mesures. Forme standard pour les musiciens de jazz. Pratique pour cadrer des pensées qui ont tendance à s'éparpiller dans tous les sens...
Premier groupe de quatre mesures : ami qui sera en retard.
Ils sont trois à l’attendre. La conversation languit, qui consiste surtout à médire de lui. Propos oiseux. Lorsqu’il paraît au bout de la rue, celui qui avait commencé une phrase y glisse « le voilà » sans rupture de ton, afin qu’on change de sujet sans qu’il y paraisse.
Deuxième groupe de quatre mesures : carrefour.
Il est difficile de comprendre laquelle est la route principale, ou s'agirait-il de deux voies d’égale importance ? D’ailleurs, elles ne se coupent pas à angle droit, mais en une croix "de saint André" très serrée, et l’automobiliste qui arrive là à vive allure peut au tout dernier moment choisir de continuer tout droit ou de bifurquer légèrement sans même ralentir, le troisième choix signifierait un virage en épingle à cheveux fort hasardeux et qui n’aurait guère de sens : ce serait quasiment rebrousser chemin.
Troisième groupe de quatre mesures : camion.
Un camion passe dans un énorme mugissement agrémenté de multiples stridences, ululements, grincements et leurs harmoniques, accrochés en divers points de sa structure métallique. Ronfletubent les pneus, claquefouettent les bâches. C’est un camion lancé à vive allure au prix d’une grosse dépense d’énergie vers quelque urgente livraison de tétines, de chaussettes, roulements à billes, canards surgelés, catalogues, brocolis, sachets de plastique, boites de punaises, chaussures de sport.
Quatrième groupe de quatre mesures : petite maison.
On s’y trouve enfin en vacances. On va pouvoir passer tranquillement à la coda.
daté d'août 2008
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